Il y a les chiffres, et l’analyse que l’on en fait. D’un point de vue arithmétique, l’équipe de France de judo a fait moins bien aux championnats du monde organisés à Abou Dhabi, aux Emirats Arabes Unis, que lors de l’édition 2023, accueillie à Doha, au Qatar. Vendredi 24 mai au soir, elle a conclu la compétition par un bilan de cinq médailles en individuels, dont un titre pour Margaux Pinot en moins de 70 kilos, une breloque en argent et trois en bronze. Un an plus tôt, elle quittait la capitale qatarie avec sept médailles en poche, dont deux en or pour Teddy Riner et Clarisse Agbégnénou (onzième titre mondial pour la star du judo français, un sixième pour l’autre locomotive des Bleus), trois en argent et deux en bronze.
S’y ajoute, cette année, comme la précédente, une place de finaliste dans le tournoi par équipes mixtes, que le Japon se paye le luxe de remporter tous les ans depuis que l’épreuve a été créée, en 2017.
Autre constante dans les performances de l’équipe de France, la réussite avérée des femmes – récipiendaires de toutes les médailles de ces Mondiaux, de cinq des sept distinctions en 2023 – là où les hommes, exception faite de Teddy Riner, tâtonnent. Cinq des sept sélectionnés olympiques ont fait le déplacement dans les Emirats arabes unis or aucun d’entre eux n’a atteint les quarts de finale. Riner, victorieux au Grand Slam d’Antalya en Turquie, fin mars, a lui fait l’impasse sur ce rendez-vous émirati.
Un véritable casse-tête
« Cinq médailles dont un titre, c’est satisfaisant pour des Mondiaux programmés à un moment particulier de la préparation olympique », préfère retenir Christophe Massina, le responsable de l’équipe de France féminine. Entraîneurs nationaux ou experts du judo conviennent tous qu’une participation aux championnats du monde à quelques semaines des JO relève du casse-tête. « On doit s’adapter pour être au plus près des besoins des athlètes, explique l’entraîneur. Certaines ont fait les Mondiaux pour progresser dans le classement mondial, les non-titulaires [pour les Jeux de Paris] avaient la volonté de s’exprimer et de s’inscrire dans une dynamique collective. »
En ce sens, l’objectif est rempli puisque les judokas alignées à Abou Dhabi démarreront les Jeux olympiques avec un statut de tête de série augurant d’un début de tournoi plus abordable. Mission accomplie également pour Margaux Pinot, non sélectionnée mais désormais championne du monde, à 30 ans, après une période de turbulences personnelles et sportives. « Remporter ce titre après tout ce qu’elle a traversé, c’est exceptionnel, elle est un exemple de résilience », se félicite Christophe Massina.
Mais les Françaises n’ont pas toutes affiché une telle détermination ni un même état de forme, à l’instar de Madeleine Malonga, mains sur les hanches et souffle court dès ses premiers combats. L’encadrement technique avait pourtant ralenti le rythme des entraînements dix jours avant les Mondiaux pour permettre aux athlètes de souffler un peu. « La difficulté, c’est qu’elles n’ont pas toutes le même profil, le même parcours ces derniers mois, ni une capacité identique à maintenir leur pic de forme, analyse l’ancienne championne du monde Lucie Décosse, consultante pour la chaîne Eurosport. Mais ce n’est pas particulièrement inquiétant, ces championnats du monde étaient aussi l’occasion de faire des réglages. »
La France en sixième place
La championne olympique aux Jeux de Londres retient également l’impact psychologique des prestations des Françaises. « Lorsque Clarisse [Agbégnénou] dit par exemple qu’elle est piquée au vif de ne remporter que le bronze, ça me parle. J’ai souvent connu ce type de situation dans ma carrière. J’étais mieux avec une petite défaite avant les grands rendez-vous, car ça m’obligeait à analyser tous les détails qui pourraient faire la différence dans les compétitions suivantes. »
Un rendez-vous comme celui d’Abou Dhabi est une mine d’informations, à deux mois de l’échéance olympique, estime Lucie Décosse. Si le Japon campe toujours à la première place du classement des nations, devant la Géorgie et la Corée du Sud – la France occupe la sixième place – « il n’a pas été aussi dominateur que par le passé. Il n’a pas envoyé aux Emirats arabes unis beaucoup de sélectionnés, certes, mais il est rare de voir si peu de Japonais classés, on sent un fléchissement de leurs résultats ces derniers mois. »
« L’épicentre du judo mondial, autour de l’axe Europe-Japon, est en train de se déplacer », pressent Stéphane Traineau, ancien champion du monde lui aussi, actuel entraîneur de l’équipe nationale kazakhe. Des pays d’Asie centrale comme l’Azerbaïdjan, la Mongolie, l’Ouzbekistan, le Tadjikistan qui obtient une médaille de bronze, s’illustrent aujourd’hui parce qu’ils ont beaucoup investi, avec la mise en place de structures nouvelles, le recrutement d’entraîneurs étrangers. » « La Corée du Sud revient par ailleurs en force », portée notamment par le talent de Minjong Kim, 23 ans, qui a remporté le titre en plus de 100 kilos après une journée de combats parfaitement maîtrisés.
Un nouveau cycle
Un Géorgien de 20 ans, Giorgi Sardalashvili, vainqueur en moins de 60 kilos ; la Néerlandaise de 21 ans Joanne Van Lieshout, titrée dans la catégorie des moins de 63 kilos dans laquelle excelle d’habitude Clarisse Agbégnénou, font partie eux aussi de cette génération montante du judo. Des sportifs qu’on pensait programmés pour les Jeux de Los Angeles en 2028, et qui ont pris de l’avance. « On arrive au début d’un nouveau cycle, ce n’est pas surprenant en soi, mais il faudra sans doute compter avec ces jeunes dès cet été à Paris », estime Stéphane Traineau.
Les prochains championnats du monde de judo, quant à eux, se tiendront du 13 au 20 juin 2025 à Budapest, en Hongrie, a annoncé vendredi la Fédération internationale de judo, qui a son siège dans la capitale hongroise.