Larges pantalons fluides, hauts lamés argent, les trois musiciennes du Trio Sora se sont installées dans l’élégante cage boisée de la MC2 de Grenoble. Une salle qu’elles connaissent bien pour y avoir enregistré leur dernier album consacré à l’intégrale des trios de Brahms qui vient de paraître chez La Dolce Volta, trois ans après le succès fracassant d’un premier coffret Beethoven. C’est cependant avec le Trio n°39 en sol majeur Hob. XV de Joseph Haydn que la pianiste Pauline Chenais, Fanny Fheodoroff au violon et Angèle Legasa au violoncelle ont décidé d’ouvrir leur concert ce 15 mai devant un public nombreux.
La musique de celui qui fut le professeur de Mozart et de Beethoven possède une fluidité mélodique, une souplesse rythmique et une clarté architecturale que les musiciennes animent avec un grand naturel, donnant à l’« Andante » son juste équilibre entre legato et rebond, au « Poco Adagio, cantabile » son content d’élégie et de velours, au « Rondo all’Ongarese », rapide et fougueux, ses jubilatoires envolées rhapsodiques. Brahms a révisé en 1891 pour les cordes du violoncelle le Trio op.40 initialement composé en 1865 pour cor naturel, violon et piano. Prise d’archet plus à la corde, toucher plus profond du clavier, les Sora ont changé de matrice sonore, adoptant le phrasé si caractéristique de l’expression brahmsienne, entre feu, nostalgie et passion.
Le piano de Pauline Chenais est passé maître du jeu, soutenant telle inflexion mélodique, telle rupture dynamique ou harmonique, impulsant un sens du récit, tandis que le violoncelle d’Angèle Legasa semble parfois vouloir se fondre dans le souvenir cuivré de quelque souffle embouché. Quelques imperfections dans l’homogénéité du trait ou l’équilibre sonore n’empêcheront pas les trois magiciennes de mener à bien leur combat. Du vif et crépitant « Scherzo » soudainement contredit par l’efflorescence centrale d’un épisode lyrique ensorceleur, au « Finale » explosif, en passant par la déploration dépouillée de l’« Adagio mesto » mené jusqu’aux bords du silence dans les graves arpégés du piano, le dialogue murmuré du violon raffiné de Fanny Fheodoroff.
Chevauchée nocturne
La seconde partie du concert plébiscite à nouveau Brahms – disque oblige, vendu et dédicacé à l’issue de la soirée. Véritable pilier du répertoire, le Trio n°1 en si bémol majeur op. 8 est un morceau de premier choix à l’inspiration foisonnante. Là encore, le clavier mouvant et si vivant de Pauline Chenais retient l’œil et l’oreille tandis que violon et violoncelle se conjuguent archet à archet, corde à corde. Fantasque et mystérieux, le fantastique « Scherzo », qui évoque une sorte de chevauchée nocturne. Les trois instrumentistes cravachent des visions peuplées de spectres et d’ombres, entre clair de lune tremblant et danse macabre dégingandée.
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