« Il y a de la tristesse, de l’anéantissement, mais aussi de la lumière et de l’énergie, de la jubilation même. » C’est ainsi qu’Angelin Preljocaj, directeur du Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), évoque sa nouvelle pièce, Requiem(s), pour dix-neuf danseurs. Pour la première fois, le chorégraphe, qui a perdu son père et sa mère, et des amis en 2023, s’attaque au thème de la mort. « Honorer la mémoire des personnes disparues que l’on a aimées génère de la joie, poursuit-il. S’il y a une forme de colère au début, de rage, leur souvenir suscite de très belles choses. En concevant ce spectacle, j’ai eu la sensation de les retrouver. Un vrai bonheur ! »
Cette « mosaïque de sentiments », en accord avec un choix musical hétéroclite, fait miroiter le motif du deuil, très présent sur les scènes contemporaines. Au théâtre, Lorraine de Sagazan dans Un sacre (2023) ou Pascal Rambert avec Mon absente (2023) ont livré leur vision de cette grande bascule existentielle. Sur les plateaux chorégraphiques, il y a eu Steven Cohen, qui avalait une cuillerée des cendres de l’amour de sa vie, Elu (1968-2016), dans Put Your Heart Under Your Feet… and Walk (2017), ou Alain Platel, dont Requiem pour L. (2018), cosigné avec le compositeur Fabrizio Cassol, s’appuyait sur les images ultimes d’une femme qui avait choisi de mourir. De jeunes artistes, à l’affiche des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, sous la direction de Frédérique Latu, s’emparent à leur tour du sujet.
Comme Angelin Preljocaj, Magda Kachouche, qui a créé sa compagnie Langue vivante en 2022, déroule le souvenir de la mort de son père en 2018 en trame de fond du quartet composé de trois danseurs et d’un musicien La Rose de Jéricho. Dans cette « cérémonie de deuil festive et singulière », elle questionne la fonction des funérailles et la conservation du lien entre les vivants et les disparus. « Comment le deuil nous habite-t-il ?, s’interroge la chorégraphe. Que produit-il physiquement sur nous ? J’ai eu envie de créer un espace de transformation pour accepter la mort, accueillir le chagrin et guider ces émotions vers l’acceptation et la réparation. »
Expérience cathartique
Dans la lignée de son solo Macchabée (2021), la performeuse distingue le rôle de ce que l’on appelle aujourd’hui les « agents funéraires », « facilitateurs » de ces moments terribles. « Ce métier est essentiel et je lui rends hommage dans le spectacle, précise-t-elle. Lorsqu’on préparait la cérémonie pour mon père, français algérien mais non musulman, rien de ce que nous a proposé l’équipe du funérarium ne nous convenait, mais on a travaillé ensemble. Nous avons imaginé quelque chose qui lui ressemble avec des musiques africaines, du Purcell, et des poèmes de Pessoa qu’il aimait. »
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