Surtout ne dites pas à Jean-Claude Fournier qu’il serait temps pour lui de ranger ses plumes et ses pinceaux. L’homme a beau être, à bientôt 81 ans, l’un des derniers représentants de l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge, il n’a pas l’intention de raccrocher. « Je me sens en pleine forme, je viens de perdre 25 kilos, j’en ai encore pour trente ans ! », s’amuse l’auteur breton, justement en train de mettre la dernière main à une illustration dans son atelier de Saint-Quay-Portrieux (Côtes-d’Armor), une « tanière » de poche située au premier étage d’une maison posée à deux pas de la mer.
Preuve de sa vitalité, l’octogénaire vient de boucler une centaine de planches de BD en trois ans, « un record » pour lui. A l’invitation du galeriste et éditeur parisien Daniel Maghen, l’auteur des séries Bizu (Dupuis et Fleurus, sept tomes, 1982-1994) et Les Crannibales (Dupuis, huit tomes, 1995-2005) a mis en images ses souvenirs, son enfance heureuse passée dans le garage parental, ses quatre cents coups au lycée de Lamballe (Côtes-d’Armor), ses exploits au biniou dans le bagad de Saint-Quay-Portrieux, ses virées nocturnes dans les tourbières des monts d’Arrée, lieu de prédilection de l’Ankou, incarnation de la mort dans le folklore breton…
Mais c’est surtout son émouvant compagnonnage avec Franquin qui occupe les pages de cette biographie en images. L’histoire entre les deux bédéastes commence au milieu des années 1960. Agé d’une vingtaine d’années, Jean-Claude Fournier hésite entre le dessin et le théâtre lorsqu’il est invité par le maître belge à le rejoindre dans son atelier bruxellois.
Thé au jasmin et réglette
« J’avais rencontré Franquin lors d’une séance de dédicaces à Paris. J’avais apporté des dessins, et il m’avait proposé de les regarder. Autant dire que je n’en menais pas large. Mais il avait été bienveillant et avait proposé que je lui rende visite en Belgique, pour me présenter à l’équipe du magazine Spirou », se remémore l’auteur, œil rieur et barbe blanche.
Durant dix-huit mois, le jeune Fournier apprend le métier auprès du créateur de Gaston Lagaffe et du Marsupilami. « Je venais une semaine tous les deux mois dans son atelier. J’avais alors un dessin très académique, et Franquin passait des heures à me corriger. C’était un pédagogue hors pair, d’une générosité incroyable », explique Fournier, l’œil vite humide à l’évocation de ce « deuxième père ». L’album regorge d’anecdotes sur l’auteur belge, son fameux thé au jasmin – « deux tiers de thé, un tiers de cognac » –, la réglette qu’il utilisait pour écrire droit dans les bulles, son goût pour les restaurants asiatiques…
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