CANNES CLASSICS
On l’attendait depuis un sacré bout de temps, le voici présenté en ouverture de la sélection Cannes Classics, du moins en sa première époque (trois heures quarante tout de même) : on a nommé le Napoléon (1927) d’Abel Gance (1889-1981). Après la version anglo-saxonne de Ridley Scott alternant sous le signe de la conquête, puis de la débandade, les scènes de boudoir et de bataille, retour à l’œuvre totale, lyrique, folle, d’un des maîtres de l’avant-garde française. Cela dans l’attente de la révélation de l’œuvre intégrale en ciné-concert et sur écran géant, les 4 et 5 juillet, à La Seine musicale, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). On aura, avec le temps, perdu de vue que trois versions principielles du film existaient, avant que les bobines ne soient éparpillées à l’arrivée du parlant, et qu’une vingtaine de versions, toutes incomplètes, soient remontées au fil du temps.
Soit une version de gala de trois heures quarante-sept présentée en avril 1927 à l’Opéra de Paris. Une version de neuf heures quarante présentée à la presse et aux exploitants en mai 1927 à l’Apollo. Enfin, une « grande version » de sept heures, rêvée comme définitive par Gance, destinée, à compter de novembre 1927, aux exploitants, mais en réalité massacrée tant par ces derniers que par le distributeur (en l’espèce la Metro Goldwin Mayer). Gance, mortifié, ne verra donc jamais l’intégrité de son œuvre respectée.
C’est cette version, devenue fantomale aussitôt qu’achevée, qui se voit aujourd’hui ressuscitée au terme d’une reconstruction à la fois raisonnée et intuitive, confiée au chercheur et réalisateur Georges Mourier, qui aura nécessité quinze années de travail, pour un budget de plus de 4 millions d’euros. On ne s’en étonnera pas : Mourier, sorte de Sherlock Holmes de la restauration, aura, en effet, découvert que toutes les restaurations opérées avant la sienne l’ont été en supposant l’homogénéité des versions « Opéra » et « Apollo » du film, donc en mélangeant les deux négatifs originaux. Il n’en était rien : il s’agissait, dès le départ, de deux films différents. On lira avec profit, tel un miniroman policier, l’article que celui-ci consacre à cette recherche dans le passionnant catalogue collectif publié à cette occasion (Napoléon par Abel Gance. La Table Ronde/La Cinémathèque française, 312 pages, 29 euros).
Une richesse d’évocation inouïe
Par ce chantier titanesque a été reconstituée de façon minutieuse une œuvre originelle disparue sous les décombres du temps et la dénaturation des hommes. C’est à une version désormais revigorée et éclatante, enfin conforme au désir de son auteur, que viendront rendre hommage, mardi 14 mai, dans l’amphithéâtre Debussy, les festivaliers cannois, parmi lesquels, s’il parvient à s’extirper du Megalopolis qu’il y présente lui-même, Francis Ford Coppola, dont on connaît l’admiration pour cette œuvre et le rôle important qu’il joua dans les années 1970 pour sa réhabilitation.
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